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le blog de Hakimarif
20 octobre 2005

Gouverner c’est pondérer

On croyait que c’est la pauvreté qui pose un problème aux gouvernements, alors que c’est en fait le seuil de celle-ci qui les préoccupe. Incapables de tirer tout le monde de la misère, les dirigeants vont faire appel aux spécialistes. Puisqu’il est impossible de diminuer le nombre de pauvres, ne peut-on diminuer le seuil de pauvreté ? Réponse. On est un citadin pauvre quand on dispose d’un revenu annuel égal ou inférieur à 2.659 DH (DH de 2001). C’est ce qu’on appelle le seuil de pauvreté. Cela nous fait quelque chose comme 221,5 DH par mois, soit encore, 7,3 DH par jour. Entendons-nous bien. Ce montant est strictement individuel. Pour l’adapter à la situation d’une famille, il faudra le multiplier par l’effectif de cette famille. Considérons dans un exemple assez poche de la réalité des ménages marocains, une cellule familiale composée de 7 membres. Le père, la mère et cinq enfants. Le seuil de pauvreté de la famille devient alors 51,1 DH par jour, soit 1.533 DH par mois. Bonne nouvelle donc, un chef de famille payé au tarif légal, le SMIG, ayant une épouse et cinq enfants à charge, n’est pas pauvre, puisque, forcément, son salaire mensuel dépasse le seuil de pauvreté. La différence n’est pas énorme, il est vrai, à peine quelques dizaines de dirhams, mais il n’est pas considéré comme pauvre. Si par contre, l’envie le prend de faire un sixième enfant, eh bien, il tombera à l’étage en dessous, entraînant avec lui toute la bande. Il y a de fortes chances que ce scénario se produise puisque la culture populaire croit que chaque enfant arrive avec son « bien ». On veut bien, mais les statisticiens n’ont pas le temps d’approfondir cette question. Et puis, il y a aussi le fait que les allocations familiales qui vont être servies au nouveau né, sont déjà en dessous du seuil de pauvreté. Les 150 DH mensuels par enfant sont inférieurs au seuil cité plus haut et qui est de 221,5 DH. Ces calculs sont faits par des statisticiens qui adoptent la méthode linéaire de la mesure de la pauvreté. En gros cette démarche considère que tous les membres de la famille ont les mêmes besoins, qu’ils soient adultes ou enfants et que la famille ne réalise pas des économies d’échelle (partage de certaines dépenses, comme l’énergie, le logement, le sanitaire, les biens durables…). Dans ce cadre, on se contentera de multiplier le seuil de pauvreté par le nombre de membres de la famille, tout à fait comme nous l’avons fait, dans cet exemple. Évidemment, avec cette méthode, le seuil de pauvreté va être élevé. Question des gouvernements qui doivent rendre des comptes sur l’état de la pauvreté dans leurs pays : mais n’y a-t-il pas une autre méthode qui puisse abaisser le seuil de pauvreté et donc diminuer le nombres de pauvres ? Comme les statisticiens ne sont pas sourds et qu’ils d’ailleurs très nombreux dans les départements ministériels, la question a été reprise avant qu’elle ne refroidisse complètement. Justement, quelle coïncidence, il y a la méthode pondérée basée sur le postulat suivant : les membres de la famille n’ont pas tous les mêmes besoins. Parfait, on tient une piste sérieuse. Oui, mais comment évaluer la consommation de chaque membre ? facile, il faudra établir des coefficients. Aussitôt dit, aussitôt fait, les ingénieurs de la statistique ont trouvé, à portée de main, l’échelle d’Oxford qui affecte à chaque membre de la famille un poids selon l’âge. Ainsi, si le père est doté du coefficient, chaque autre adulte aura le coefficient 0,7, ce qui veut dire qu’il consomme 30% de moins que le chef de famille. Chaque autre adulte veut dire aussi l’épouse. Pour les enfants, allez savoir pourquoi on a dit que ce coefficient devrait être de 0,5. Ainsi donc, en revenant à notre exemple de la famille de 7 personnes, le calcul va être différent. Valeur 1 pour le chef de famille, 0,7 pour l’épouse et 0,5 pour chaque enfant soit 2,5 points. Total général, 4,2. Explication, avec la méthode pondérée, une famille de 7 personnes dont cinq enfants, ressemble à une famille de 4,2 personnes. L’implication va être intéressante. Le seuil de pauvreté descend à 487,3 DH par mois (pour une famille de deux adultes et cinq enfants). On est bien sur loin des 1.533 DH. C’est la preuve que dans cette sempiternelle guère contre la pauvreté, ceux qui sont au front ne sont pas ceux qu’on croit. Les gouvernements alignent les statisticiens en première ligne pour se donner du temps pour la réflexion. Gouverner c’est savoir d’abord choisir ses méthodes statistiques. Le seul à ne pas s’en réjouir restera toujours le chef de famille. On le comprend, il attendait une rallonge pour son revenu, on lui a diminué les besoins de ses enfants. Il a toujours su qu’il en avait cinq, le carnet de l’état civil faisant foi, et voilà qu’un statisticien masqué lui dit qu’il n’en a que 2,5. Le comble ! Mais, on le connaît ce chef de famille jamais content. L’ingrat ! Il devrait sauter de joie, puisqu’on lui annonce qu’il n’est pas en dessous du seuil de pauvreté, grâce à la pondération. Que ne peut-il pondérer son humeur ?
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